Le retour du petit vélo (rouge) dans les Alpes

Vers la montagne, depuis la mer !

François-Xavier, fervent défenseur de la nature, des activités de montagne, et de bien d’autres thématiques, se lance le défi de traverser les montagnes depuis Menton et la côte Italienne, pour atteindre Thonon… en vélo !

Son périple aller a été suivi par Eau’Dyssée l’année dernière (lien ici), et s’est malheureusement terminé précocement suite à des soucis de genou. C’est donc avec une motivation décuplée que François Xavier reprend la route pour accomplir la fin de son périple, et faire le retour !

Poète dans l’âme, vous pourrez suivre son aventure sur cet article de blog. Pour rappel, son périple total ressemble aux cartes suivantes :

itineraire_FX

Le parcours

Près de 1100 km et de 26000 mètres de dénivelé attendent François-Xavier le long de son périple ! Nous suivrons sa progression en direct, qui reprend à partir du jour 9 sur le tableau suivant. Evidemment, le parcours pourra évoluer selon les contraintes sur place.

itineraire_FX2

Un petit mot du coureur...

  1. C’est reparti !

Après avoir dû battre en retraite, l’an passé, du côté de Demonte, en Italie, je tente à nouveau l’aventure de la traversée des Alpes, je repars à la conquête des cols frontaliers qui nous racontent tant d’histoires de passages, d’un bord à l’autre.

6,5 kg de bagages pour 9 jours… une petite cure d’amaigrissement par rapport à l’an passé, une météo moins favorable, et la même incertitude de parvenir à Thonon… Mais quoi ? Ce ne sera que ma deuxième tentative, et sur la frontière, je le sais, on ne m’opposera aucune résistance. On n’en connaît d’autres pour qui ce ne fût pas le cas. Que se passe-t-il, aujourd’hui, du côté de la mer du Nord ? Que se passe-t-il sur la frontière entre le Maroc et l’Espagne ? Cette frontière-là, ce n’est pas un col qu’on enjambe en quelques coups de pédales. Mon ami Alim s’y est repris 5 fois lors de sa première traversée. Il lui faudra plus de quinze tentatives pour franchir la frontière de Ceuta, lors de la seconde.

Alors ? Alors, même si le voyage devait à nouveau tourner court, ce ne serait pas, de loin, une raison suffisante de ne pas s’engager. D’ailleurs, on raconte que seuls ceux qui ont essayé ont réussi…

Et quand ce n’est pas pour changer de pays, franchir un col, c’est toujours changer de bassin versant, c’est toujours redécouvrir une nouvelle histoire du rapport intime qu’entretiennent ensemble les hommes et l’eau, l’eau à la source de toute vie, de toute implantation pérenne, de toute définition d’un chez soi –celle d’un pays ne venant que plus tard.

Je ne pars cette fois ni de Thonon, comme l’an passé, ni de Demonte, où j’ai dû m’arrêter pour cause de genou récalcitrant, mais de Menton. Menton, une ville sur la mer et sur la frontière, un double exutoire, en quelques sortes…

De là, par la route des cols frontaliers, il reste un peu moins de 1100 km à parcourir pour regagner Thonon et le lac Léman. Un peu moins de 1100 km, donc, et un peu plus de 26 000 m. de dénivelé…

A suivre…

P.S. : pour ce qui est de suivre, je vous laisse deux pistes qui me sont chères (et qui vous donneront l’occasion d’aller regarder ces 2 sources d’information de plus près, c’est surtout ça qui compte !) : 

Pour soutenir l'initiative de François-Xavier

Si la cause d’Eau’Dyssée vous parle, ainsi que le défi lancé par notre cycliste émérite, voici différentes façons de soutenir l’association :

  • Faire un don (défiscalisé) à l’association, par ici,
  • Suivre l’association sur les réseaux : LinkedIn, Facebook ou Instagram,
  • Nous contacter pour diffuser un atelier, notamment la Fresque de l’Eau, près de chez vous (entreprise, université, association, autre) ou avec votre groupe d’amis (cadre citoyen),
  • Vous inscrire à un atelier déjà prévu sur l’agenda de l’association par ici.

Le suivi du périple

12/09/2022 - J0

La route des frontières – J0 : Menton

Le train de Menton est un bonheur de diversité. J’y croise un couple de randonneurs hollandais à vélos pliants, un autre d’hommes avec leurs enfants, landau et poussette attenante, un portrait craché de Carmen avec son mari, son fils et une autre poussette, une collection d’étudiants en hôtellerie de retour de stage, quelques retraités en vacances, des trailers en quête de bière et d’une solution contre l’hypoglycémie qui menace – il est tout juste midi – des monégasques en panne de Ferrari et des russes qui n’osent plus parler leur langue qu’à voix basse…

Outre que tout cela fait pas mal de monde et de matériel dans un espace somme toute confiné, c’est avant tout la preuve que la frontière n’est jamais où l’on croit.

À Menton, cependant, il faut descendre au risque de se retrouver en Italie. Rarement je me serai lancé dans une aventure avec pareille boule au ventre. Mensonge. C’était pareil au Népal, pareil avant le Mustagh Ata,  avant le Pelvoux, l’Olan… Le Kazbek ? Pareil ! Le même sentiment d’impréparation physique et matérielle malgré les entraînements et les vérifications. Et pourtant…

Et pourtant, à chaque occasion, tu y retournes !
Et puis, qu’est-ce que tu risques, à vélo ?
Rien. A vélo, tu ne risques rien. De te faire mouiller une journée, peut-être ? Une fringale, un autre jour ? Il y aura toujours un bar, un arrêt de bus ou un hôtel pour te mettre à l’abri ou te ravitailler. Plus loin, une gare pour te permettre de rentrer chez toi. Ce que tu risques vraiment ? L’échec. Devoir rentrer sans terminer, une fois de plus. Pour tout aléa, un risque narcissique somme toute très inoffensif pour la santé…

Tout de même. L’an dernier, les derniers rounds de préparation m’avaient confirmé dans la certitude que j’avais la patate pour le faire… Cette année, mon retour du Ventoux et ma récente circonvolution cartusienne ont plutôt contribué à raviver mes doutes… Alors ? Alors on verra.

Dans ces conditions, d’aucuns se demanderont pourquoi y aller ?  Pourquoi au moins ne pas se simplifier la tâche en repartant de Demonte ?
Parce qu’un itinéraire, c’est un itinéraire. C’est un tracé, une courbe, une ligne qui relie. Cette manière de voyager dépasse de beaucoup la simple avalanche de chiffres (kilomètres parcourus, mètres de dénivelée, nombre de cols, rythme cardiaque, nombre de calories dépensées…). Elle cherche un arrangement, se veut mise en relation. Elle partage avec la voie de l’alpiniste une vocation du tracé qui n’est pas étrangère à l’interprétation : interprétation d’un paysage, d’une chaîne de montagne, d’un réseau de routes, comme d’autres interprètent une partition. C’est une partition d’un autre ordre, certes, mais une partition tout de même. Une partition écrite de très longue date et qui permet des variations infinies. Et ce rôle d’interprète, voire avant lui, de découvreur de passages, de dessinateur de courbes, de calligraphe, confère au cyclotouriste ou à l’alpiniste des prétentions qui dépassent celle de la seule performance. Le voilà déjà passeur  de beau, passeur de rêves…

Ce que tu moulines là, dans la tête et les jambes, ce sont les lignes d’un roman bizarre, une courbe de stylet, un hiéroglyphe, un signe hébraïque au sens multiple que chacun déchiffrera à sa manière.
Et quoi ? Un itinéraire de la mer au lac Léman qui ne verrait jamais la mer, ça perdrait bougrement de son sens, non ? Pire ! ça priverait son auteur d’une occasion de baignade… et ça, c’est inacceptable !

Pour l’occasion, je quitte donc la villa de Sandrine, où la vue et l’accueil sont toujours aussi agréables, et je m’offre le cabotinage d’une glace en Italie et d’un bain de mer français. Cette escapade-là me vaut déjà deux passages de frontière. Une frontière aujourd’hui surveillée : nombreuses voitures à l’arrêt et, côté italien, des pas qui refluent, des visages fermés. Ceux de groupes de jeunes hommes. Presque tous noirs…

Un bout de l’immense diversité que le train, pourtant, n’avait pas livré…
Pour certains, la frontière est là et nulle-part ailleurs.

13/09/2022 - J1

La route des frontières – J1 : Menton – Demonte, la Roya et le col de Tende

Ce parcours est une histoire d’eau.

Hier, en gagnant le restaurant conseillé par Sandrine, je longe une vieille canalisation métallique posé à même la roche, juste à côté de l’ancien canal creusé dans cette dernière. L’eau décide et les hommes font avec.

À l’amicale bouliste de Breil-sur-Roya, le sujet rend philosophe : « là où vous êtes, pendant la tempête Alex, il y avait 30 cm d’eau. Regardez la rivière aujourd’hui ! Vous imaginez la hauteur ? Mais quoi, c’est la nature qui reprend sa place ! »

Pour arriver jusque-là, il faut franchir le col de Castillon puis celui de Vescavo. Je monte au premier par Castellar, et c’est le meilleur des choix. D’abord parce que la descente par la route principale ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable l’an passé. Ensuite parce que Castellar et Castillon prennent très bien la lumière du matin. Enfin parce qu’on y roule à l’ombre le matin, quand à Menton, la chaleur est déjà écrasante. Cette une route où l’on croise aussi des ouvrages ferroviaires à faire pâlir le train de la Bernina… mais ils sont ici à l’abandon !

À Sospel, c’est une collection de façades Renaissance colorées qui m’accueille. Il faudra revenir quand seront terminés les travaux du Relais de France, une enseigne qui redit combien la frontière a toujours été en vadrouille dans la région. Et s’il était besoin de preuve supplémentaire, les trains, ici, font comme l’eau. Ils coulent vers l’Italie. La ligne principale mène à Vintimille. Celle de Menton ne fonctionne plus.

Quant à la Bevera, elle n’a plus assez d’eau pour pleurer la sécheresse. Certains préfèrent ça aux débordements de la Roya.

En amont de Breil, entre Saorge et le bout de la route, on traverse encore trois ponts provisoires et une bonne quinzaine d’alternats de circulation. Somme toute, la situation est incomparable avec l’an passé où c’est un TER qui m’avait conduit à Tende.
Quoiqu’amoureux du train, il faut reconnaître que la route, ici, le surpasse en matière de paysages. Dans les gorges de la Roya, elle est littéralement construite dans le lit de la rivière, faute de place ailleurs. Un lit tendu de blanc, de rouge et de vert, au gré d’une géologie aussi gourmande qu’exigeante ! Une géologie fille d’océan et de rivières.
L’eau, on fait avec, comme toujours.

À Breil, comme à Tende, on me promet toutes les peines du monde pour atteindre le col. La piste se serait fortement dégradée avec le passage des engins de chantier. Dans les faits, pour éviter la déliquescence de ce qui reste de passage entre la France et l’Italie, les entreprises en charge des travaux ont revêtu toute la partie basse, si bien que je trouve un billard agréable sur plus de la moitié de la montée…

D’ailleurs, si le Tour de France était l’un des fers de lance véritables des valeurs que le sport prétend véhiculer, on pourrait se prendre à rêver qu’il finance la fin de l’enrobé pour y faire passer une prochaine édition de la course. Ce serait bigrement plus utile que d’aller noyer de bitume d’anciens chemins muletiers à des fins purement récréatives, au col de la Loze ou du côté de Sarennes.  Mais ce n’est pas le modèle économique d’ASO qui compte plutôt sur les investissements colossaux des collectivités locales pour assurer le spectacle. Somme toute, ce serait un beau renvoi d’ascenseur, une preuve de solidarité à laquelle les stations qui bénéficient le mieux des retombées médiatiques des événements passés – et qui ne sont pas les plus à plaindre en matière de budget : Courchevel, Méribel, l’Alpe d’Huez – pourraient aussi s’associer… Le Tour y gagnerait en outre l’opportunité d’une première des plus esthétique en enchaînant les cols de Bouis, de Tende et de la Lombarde… le lendemain, Bonnette ou Couillole !

Ce qui reste de piste s’avère en tout cas très roulant. J’arrive au sommet sous les applaudissements d’un couple de motards polonais. Le paysage est grandiose. Plus loin les forts promènent un air sévère sur les alentours, achevant un système de défense a l’abandon commencé avec une série de batteries disséminées à l’entrée des gorges de la Roya.

La frontière est toujours là, mais les militaires n’y sont plus. Ici, c’est le sens du mot frontière qui a bougé.

14/09/2022 - J2

La route des frontières – J2 : Demonte – savoir reculer pour mieux sauter.

J’ai méchamment puisé dans les réserves, hier, pour sortir au sanctuaire de la Madonna del Colletto, et je crains que le délicieux repas préparé par Roberta et Gian Franco n’y suffise pas.

Je ne parle pas de satisfaire ma faim de loup. À cela, il est assez copieux. Je parle de préparer l’avenir.

À croire que chaque année, je me fais avoir de la même manière, par une Madone de trop… j’ai aussi besoin d’une bonne nuit de repos et la perspective d’un levé à 5h pour boucler l’énorme étape qui m’attend me fait y réfléchir à deux fois, autant que la certitude de prendre l’orage annoncé dans la Bonette, à près de 3000 mètres d’altitude…

Ici, la pluie ne devrait pas arriver avant 15h00, ce qui permettrait tout de même de passer la Lombarde au sec… Et puis, ne serait-il pas plus judicieux de prendre un jour de repos après plutôt qu’avant cette étape de tous les dangers, la plus exigeante de mon périple ? J’hésite…

Basta… le 14 sera le seul jour de mauvais. Autant le passer au sec.

Bonne idée ! À 9h00, il pleut déjà des cordes…

Pas de frontière aujourd’hui mais voilà l’occasion idéale de découvrir un peu mieux la région qui se revendique… le berceau de la langue d’Oc.

Pas de frontière ? Vraiment ?

Certaines frontières appartiennent davantage au Temps qu’à la géographie. On ne s’aperçoit les avoir franchies que par un coup d’œil en arrière, longtemps après les avoir traversées.

Celles-là laissent tout autant de traces dans le paysage, comme hier, à Tende, où je déjeunai sous les auspices de trois pinacles dressés : le clocher de la cathédrale, l’angle ruiné du château médiéval et l’antenne 4G.

15/09/2022 - J3

La route des frontières – J3 : Demonte – presque Demonte, ou de l’art de tourner en rond.

Pourquoi refaire cette boucle si tu l’as déjà faite l’an passé ? Telle était la question de Marika – un peu déçue de n’être pas du périple, de n’être pas de ce nouvel impossible, pour cause de déménagement au Canada…

Pourquoi rouler à nouveau sur ses propres pas ?

D’abord, pour profiter de la très belle Lombarde sans douleur au genou… Pour déguster sans déguster, en quelques sortes. Ensuite parce que les lumières changent et donnent à la montagne un visage toujours neuf. Pour le défi ? Bien sûr pour le défi. Pour deux défis même ! Le premier, celui de ne rater aucun col frontière ; le second, celui de réaliser la boucle dans la journée. La boucle ? Une classique parmi les classiques, une figure de la mythologie à deux roues, l’itinéraire n°13 des 100 plus belles randonnées du cyclotourisme (dans la collection dirigée par Rebuffat chez Denoël… si si, celle-là…), une boucle aussi connue en Italie sous le nom de Vinadio – Vinadio…

“Ah… mais si tu fais la Vinadio – Vinadio, c’est autre chose” Roberta est devenu soucieuse. Gian-Franco ne le sera pas moins.

Dans la nuit, l’orage qui s’abat sur le hameau de San Maurizio met à bas toutes mes phrases péremptoires. En vélo, tu risques de prendre ça sur la tronche. L’eau passe à l’horizontal, la pluie autant que celle que le vent arrache au toit de tôle du hangar…
Le toit qui tient par miracle…

Tu penses aux habitants de la Roya, à ceux de Limone Piemonte, à ceux de la Vésubie, de la Tinée. Le déluge s’abat sans discontinuer pendant une trentaine de minutes, et puis, d’un coup, c’est fini. Alors, tu penses à ta journée du lendemain, à ton vélo resté dehors, à l’abri du balcon, qui doit être trempé à cette heure, aux branches cassées sans nombre qu’il faudra éviter sur la route… la route qui pourrait bien être coupée par endroit…

Comment c’était de l’autre côté, dans la Tinée ?

Le lendemain, il fait grand beau et le petit déjeuner préparé par Roberta finit d’évacuer tes doutes. Aujourd’hui, ça passera…

Derrière le défi, celui des kilomètres et de la performance, il y a parfois des rêves de gosse. Une tentative un peu désespérée de ne pas fermer les yeux sur ce qui nous jetait des étoiles dans les yeux… une cure contre l’hypoxie dirait Neptune, une auteur-compositrice lyonnaise à écouter d’urgence !

La première épingle de la Lombarde lui donne raison : « c’est comme un gauche, droit dans ta gueule ». À 7h00 du matin, ça réveille !

Ensuite, ça se calme… un peu… Des souvenirs reviennent, l’intersection où l’on bifurque pour plonger dans les profondeurs granitiques de la vallée. Ensuite, c’est raide à nouveau… La Lombarde italienne se gravit à l’explosivité sur les 10 premiers kilomètres. Mon nouveau développement, un 30-28, Fait merveille… ça passe sans se casser les genoux.

La route de la Lombarde donne une idée assez précise de la volonté des hommes pour forcer un passage qui ne leur est pas naturellement destiné. J’y mesure celle d’Alim dans la traversée de la frontière hispano-marocaine, la première fois à Melilla, la seconde, à Ceuta. La différence, sur cette autre frontière, c’est que deux volontés s’affrontent : celle des premiers de passer à tout prix et celle des seconds de les en empêcher…

Pour préserver quoi ? Une identité collective ? Laissez-moi rire ! Au risque de me répéter, je dirai avec Amin Maalouf qu’une identité, c’est personnel. Un point c’est tout. (D’ailleurs, que les plus fervents défenseurs de l’identité collective soient assez souvent les plus friands amateurs des contrôles d’identité nous prouve combien ces derniers n’ont pas résolu toutes leurs contradictions…)

À 8h30, le premier coup de feu retentit. C’est aujourd’hui l’ouverture de la chasse au chamois.

Gian Franco s’est levé très tôt pour arpenter la montagne en quête de gibier. Roberta n’aime pas ça, mais le frigo est presque vide, alors, une fois par an, elle accepte de l’accompagner.
Je ne suis pas ce qu’on appelle un défenseur de la chasse, bien au contraire, mais Gian Franco est de ceux qui m’amènerait à revoir certaines positions. Pas par de longs discours, non, ce n’est pas le genre de la maison. Sa pratique et son savoir être lui suffisent. Gian Franco chasse pour ses besoins et ceux du gite, de quoi nourrir une famille. Et même s’il consomme bien plus de protéines animales que moi, le bilan carbone (comme le bilan eau) de ma viande n’est certainement pas meilleur que le sien. Pour lui donner raison, dans l’épingle suivante, un épervier décolle emportant la dépouille de sa proie, grive ou merle, entre ses serres.

Il existe une chasse digne qui fait partie de l’écosystème. Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Une chasse digne vient après beaucoup de sobriété.

Au col, une grand-mère raconte à sa fille qui s’ennuie : “tu vois, c’est là qu’est passé mon oncle, avec 50 kg de victuailles sur le dos, au col que tu vois, là-bas, mais ce n’est pas là route du sel.” Puis à moi : je vis à Antibes, mais je suis, pour ainsi dire, une fille d’immigré. On critique les immigrants aujourd’hui, mais ça a toujours été. Déjà dans les années 30, avec Mussolini, tous les Italiens sont partis…”

À Isola, la couleur de la Tinée porte les stigmates de l’orage de la veille.

Au sommet de la Bonnette, je croise Jules, un cyclo qui se plaint de ses genoux. Il me rappelle quelqu’un. Je lui passe un peu du baume magique de la pharmacienne de Guillaumes et je fonds sur Jausiers saluer Steph qui avait bichonné le petit vélo rouge, l’an passé. Ce dernier ne travaille plus au magasin mais le patron se rappelle l’histoire.

Puis, c’est le col de Larche d’où je laisse un message à Roberta pour la prévenir de mon arrivée tardive. Je suis seul au monde dans la descente et j’empile les épingles comme un pilote de formule 1. Je ne sors de mon rêve que devant la pancarte indiquant la direction Francia, celle de la route de la Lombarde. La boucle est bouclée. À côté de la pancarte, une voiture noire d’où surgit un visage connu. C’est Roberta ! Que peut-elle faire là à cette heure sinon… Sinon m’attendre ?

« Vinadio – Vinadio, c’est terminé ! » Pour elle, la classique s’achève là. Elle ne saisit que mon but ne se borne pas à cette boucle, que je suis moins un cyclo qu’un voyageur… Un voyageur qui aimerait finir son Demonte – Demonte.
Mais ce bout de route, tu l’as déjà parcouru, et un voyageur sait aussi recevoir ce que la route et ses habitants lui offrent. En outre, Roberta et Gian Franco sont des bienfaiteurs et le geste te touche tellement que tu ne fais pas même semblant de résister. Tant pis pour les 15 derniers kilomètres. Vinadio – Vinadio, ou plutôt, Demonte – Vinadio, c’est bel et bien terminé !

Un quart d’heure plus tard, Roberta te dépose à San Maurizio. Tu es revenu au point où tu t’étais arrêté, l’an passé. La grande boucle est bouclée. Désormais, l’aventure peut commencer !

16/09/2022 - J4

La route des frontières – J4 : Demonte – Sampeyre, l’inconnu à deux pas de chez soi…

Au-dessus de Demonte, il y a ce col, la Fauneria, un grand d’Italie, presque 2500 m. s.l.m. (sopra il livello del mare), paré d’un monument à pas-moins-que-Marco-Pantani-le-pirate. En deux mots : une légende… Une légende peu connue, mais une légende tout de même.

Comme tous les grands des Alpes, la Fauniera s’est parée d’une foultitude de petits panneaux riches d’indications chiffrées pour autos, cyclistes et employés des routes : d’une part, le nombre de kilomètres parcourus sur la strada provinciale 268, d’autre part, le nom du col, le rappel de son altitudine, le nombre de kilomètres restants à parcourir et la pente moyenne du kilomètre à venir. Avec ça, difficile de se perdre, tout au long des 24,7 km d’ascension. Au bout de 6 ou 7 kilomètres, les panneaux pour cyclistes sont les premiers à disparaître. Au-delà de San Giacomo, passé la centrale hydroélectrique, c’en est fini de la strada provinciale, la route est débarrassée de ses chiffres, laissée à elle-même et c’est très bien comme ça !

Car gravir la Fauniera, c’est poursuivre une chimère, c’est courir comme un gosse qui s’élance jusqu’à toucher l’horizon. Une fois atteint le bout du monde, au refuge Carbonetto, tu découvres que le bout du monde est plus loin. Beaucoup plus loin…

Le bout du monde, c’est le col Valcavera, point de passage obligé sur ta route. La Fauniera, c’est plus loin.

Dans ce paysage bucolique, la route ne laisse aucun répit. C’est pourtant le tracé qui épouse le mieux le relief, la moins raide qu’il était possible de construire sans ouvrage d’art ou presque, une merveille d’économie de moyens.

Les bas-côtés bruissent de marmottes qui s’égayent à ton passage.

Une bergerie, un fort ruiné.

À travers l’Histoire, seules quatre catégories d’individus sont parvenues à s’approprier durablement l’étage des hautes altitudes cyclistes : les bergers, les religieux, les militaires et, bien après eux, les hydro-électriciens.

Derrière toi, un cycliste itinérant file à vive allure malgré des sacoches volumineuses. Pour rouler à cette vitesse, ou il est parti du refuge, ou il évolue sur un vélo électrique…  soit c’est un campionissimo, soit c’est un « tricheur ».  Un coup d’œil en arrière : il è vraiment più carico di te.

Un instant disparu, il te dépasse dans un souffle, force à peine sur les pédales pour absorber le coup de cul que voilà, et dépasse le Valcavera sur un nuage tandis que tu en chies comme un russe pour avaler les derniers mètres.
En chier comme un russe. J’utilise l’expression à dessein, non seulement parce que le recul des troupes de Moscou en Ukraine l’a remise de fait à la mode, mais plus encore parce qu’elle semble avoir valeur presqu’aussi éternelle que la Sainte Rus’, la Sainte Russie ! Combien de fois le gouvernement de Saint Pétersbourg puis Moscou a-t-il condamné son peuple aux pires tourments au prétexte de quelque idéaux douteux ? Mais comme dirait mon ami Jean-Louis : « c’est souvent le problème des peuples qui sont persuadés d’être élus ». Par qui ?

Welcome in Israël, le pays du peuple élu de Dieu ! Bienvenu dans la « Sainte Russie »… Welcome in France, fille aînée de l’église et pays des droits de l’homme… Welcome in USA, où God bless America…

Autant dire qu’on n’est pas sorti de l’auberge. La Fauniera, c’est pareil, à la différence près que c’est très beau. Le col de Valcavera s’ouvre sur un vallon magnifique qui refuse ses charmes à qui ne prend pas le temps de franchir sa porte de cargneule gypseuse – et tant pis pour le cycliste électrique.

Ensuite, c’est tout plat jusqu’au monumento al Pirato, jusqu’à la Fauniera, jusqu’au val Grana (qui lui aussi parle Occitan). Et la Fauniera, c’est le plus beau col du monde ! Il a pour lui l’intimité des petites routes perdues autant que l’altitude et le paysage des grands cols. Au sommet, marmottes, vautours et chamois.

Plus loin, les sommets de l’Argentera… devant toi, l’immense vallon suspendu que tu viens de remonter et dans son alignement un col où brille un bâtiment ! Tu reconnais cette p… de Madonna del colletto (comme disent les maçons italiens à qui il faut reconnaître un sens certain de l’oxymore que je me plais à vous restituer).

Je mange non loin de là, sur une terrasse avec vue sur la plaine du Pô…

La descente du col d’Esischie tient moins de la strada provinciale que de la strada terrata percoribile, quoiqu’elle soit a mon goût plus orribile encore que percorribile. Arrivé dans le Val Maira, tu pédales 200 mètres et tu comprends pourquoi tout le monde en fait l’éloge. Tu ne sais plus où donner de la tête… Vers la rivière argentée ou vers ce clocher perché ? Vers cette falaise sombre qui plonge sur le torrent, vers ce village agrippé sur un éperon rocheux, vers… (tiens un drapeau occitan…) ? Bref, ça ne passe pas loin de la sortie de route…

Ton émerveillement ne connaît pas d’ombre sinon ce pressentiment, celui qui te fait savoir que tous ces villages très hauts perchés, ta route va y passer. L’ascension du col de Sampeyre va te prendre des plombes. D’une part, parce qu’il faut y faire des pauses tous les 200 mètres pour des photos, d’autres part parce que la signalétique laisse à désirer : pour aller au col de Sampeyre, c’est pourtant facile, il suffit de suivre… Sampeyre… ou Cucchiales… ou Elva (mais pas jusqu’au bout sous peine de kilomètres inutiles) … ou San Martino… et ce parmi une multitudes d’autres noms de villages perdus et difficilement identifiables aux échelles cartographiques qui intéressent le voyageur. Bref, on n’est pas sur une autoroute, mais c’est justement ce qu’on est venu chercher.

Le problème du colle di Sampeyre, c’est qu’on y compte beaucoup trop de feuillus. Or qui dit feuillus dit faible altitude et qui dit faible altitude insinue que le sommet est encore à perpette. Deux virages plus loin, les feuillus ont laissé la place aux mélèzes et l’on serait tenté de croire que le Sampeyre, c’est long, mais ça va. Le virage suivant dévoile un mur que dévalent deux belles cyclistes italiennes qui t’encouragent du geste et de la voix. Tu redoubles d’effort, mais tu sens bien que tu ne va pas tenir longtemps à ce rythme. Les genoux grincent, tu vises l’épaule derrière laquelle tu devines un plat – raté. Tu te bats dans une nouvelle pente diabolique et tu finis à bout de souffle – n’en déplaise à Neptune si mon hypoxie est le meilleur des remèdes contre la sienne – comme la veille, à la Bonette… sauf que là, tu n’es pas encore au sommet.

Le sommet, il est à portée de regard, maintenant. Le paysage s’étend en un immense pâturage dominé par le Viso. Des troupeaux paissent. Tout invite à la douceur. Une douceur qui te sera refusée pour encore quelques kilomètres… Mais cette étape tant redoutée, tu viens de la franchir. Une de plus.

17/09/2022 - J5

La route des frontières – J5 : Sampeyre – Briançon, retrouvailles au sommet

Au réveil, les jambes sont lourdes de la veille, mais la perspective de retrouver tout à l’heure Manu au sommet du col Agnel te met du baume au cœur. Manu, il t’a donné cet improbable rendez-vous l’autre jour, et ça t’a rendu fou de joie. Tu sais qu’il roulera vite, qu’il sera devant, toujours, mais tu sais aussi, que c’est le genre de type qui, même sur un pied et chargé d’un sac de 10 kilos de pierres, trouverait la force de te pousser au sommet s’il le fallait.

En l’espèce, tu vas faire en sorte que ce ne soit pas le cas.

Côté Italien, le vent s’est levé et le froid est vif. La fin de la descente sur Sampeyre est jonchée de branches cassées. Côté Français, il ne fait pas deux degrés quand Manu décolle de Château Queyras. Moins de deux heures plus tard, il est au sommet. Côté Italien, tu viens à peine d’arriver à Ponte Chianale où, malgré les virulents orages de mercredi, le lac de la retenue du barrage est au plus bas.

Ailleurs, on parle inondation, et c’est pourtant toujours la sécheresse qui règne.

Une sécheresse qui dure depuis la Roya – c’était au café de Tende, le garçon avait rempli tes bidons avec ces mots : « c’est sûr que la fontaine publique, ils sont pas près de la refaire couler ! »

Une sécheresse retrouvée au col de la Lombarde dans la voix de la grand-mère de la route du sel : « on a tellement besoin d’eau, en bas, dans la plaine, et là, ça tombe en paquet et ça fait des dégâts. »    

Plutôt qu’au sommet, Manu viens te rejoindre au pied du col, juste après Chianale. Lui, va se taper deux fois le col Agnel dans la journée. Rien que ça. Le versant Italien est plus raide que tout ce que tu as connu jusqu’ici – sauf à la Madonna del colletto, mais là-bas, c’est tout de même beaucoup plus court et pour bien commencer, une cohorte de voiture de sports nous dépassent en trombe au risque d’envoyer Manu dans le décor. Comme quoi, il ne suffit pas d’avoir une Porsche ou une Alpine pour avoir la classe. Parfois, c’est même le contraire.

Le vent de face et la pente à 14% ont raison de mes efforts. Le 30-28 n’y suffit plus. Je prends sur les cuisses, je prends dans les genoux. Une bourrasque manque de me foutre dans le fossé. Pause.

La prochaine sera au sommet. Le dernier virage a dévoilé le visage du Viso – juste le bout de son nez, mais il est beau. D’ici, on devine le col de Sampeyre et derrière lui, l’Argentera et le Gélas. De l’autre côté, ce sont tous les Écrins qui défilent. Meije, Barre, Pelvoux, Ailefroide…
Peut-être que le col de la Fauniera est le plus beau col du monde… Mais peut-être que le col Agnel est plus beau que le col de la Fauniera. Il faut aller leur rendre visite pour s’en faire une idée. 

Pour la première fois du voyage, je bascule dans le bassin versant de la Durance, donc du Rhône. Les cols précédents faisaient communiquer la Roya ou la Tinée (donc le Var), toutes avec le Pô. Le Pô, il n’y a que lui du côté Italien. Mais côté Français, une bascule vient de s’opérer. La géologie aussi s’est modifiée. Finie les élancées détritiques des confins de l’Ubaye. Sur la route du col Agnel, les murs de soutènement sont faits de serpentine verte, témoin du soulèvement de la faille de la Téthys, témoins des entrailles d’une mer aujourd’hui à près de 3000 mètres d’altitude.

Élan…

Le vent ne faiblit pas dans l’Izoard et ne nous laisse aucun répit. Quand la pente laisse espérer un peu de repos, une bourrasque nous l’interdit. C’est une de mes plus dures journées de vélo. Les cuisses ne suivent plus. Le genou râle pour de bon. Manu m’attend souvent. Au sommet, il ira même jusqu’à dire que la journée l’a séchée… mais je le connais, moi Manu. La dernière fois qu’il est montée ici, c’était pour un viron de 180 bornes et 5000 mètres de dénivelée. Le tout après un peu de natation, et avant de courir un marathon…    

Les deux étapes les plus raides sont désormais derrière moi… Encore deux étapes un peu folles. Ensuite ? Ensuite ce sera plus humain.

18/09/2022 - J6

La route des frontières – J6 : Briançon – Lanslebourg, la route des symboles

D’entre tous, c’est lui que tu voulais voir. Le col de l’Échelle. L’Everest de tant de voyageurs involontaires parvenus l’hiver devant ce mur frigorifiant. Face à eux, de la neige et des hommes. Des hommes qui, pour certains, viendront les secourir ; qui pour d’autres, viendront les prendre en chasse pour mieux les repousser.

Pour le Syrien, le Tchadien, l’Erythréen forcé de passer par là, ce ne sera pourtant qu’un Everest parmi d’autres – et qu’est celui des Alpes pour qui a traversé la Lybie et la Méditerranée ?

Car ce n’est pas un grand col, non, ce col de l’Échelle, pas un plus de 2000, bien au contraire. C’est le point le plus bas entre le bassin versant du Rhône et celui du Pô.

Pourtant, sur ta route, c’est lui qui en dira le plus long. Le voilà, le véritable porteur de symboles de ton voyage, porteur dont tu t’étais trop vite attribué l’identité, toi, le cyclo-poéto-dessinateur d’épingles et de splines plus ou moins idéales.

L’Échelle, ce n’est pas une star sous le feu des projecteurs, un Ventoux pour qui l’ont vient rouler depuis la Belgique ou la Hollande – et pourtant, on vient à lui de Syrie, du Nigéria ou de plus loin encore. C’est un accompagnement modeste plus qu’un plat de résistance, une curiosité locale, pas même régionale (de Briançon, on lui préférera l’Izoard ou le Granon). Pire encore, c’est le seul col que tu devras traverser deux fois et non une, un accroc dans ta partie de tricot, un point à l’envers sans point à l’endroit – ni point pour Saint-Joseph, ni point pour saint Thomas… Un point qui aurait perdu tout à la fois sa dame patronnesse et son Jacques Brel pour le chanter.

Le col de l’échelle ? C’est ce col mal foutu – et pourtant si beau – que tu franchiras donc une première fois depuis Bardonecchia – pour le symbole ; une seconde depuis Névache – pour le sport.

Pourquoi deux fois ? Parce que sans cet accroc ridicule, le retour au Mont-Cenis t’aurait couté le Galibier et, derrière, l’enchaînement sur le Petit Saint-Bernard aurait perdu tout son sens : des kilomètres de fond de vallée pour revenir au point de départ, à un Iseran près – une paille. Bref, c’est comme ça. Le dessinateur bricole avec le grain du papier, le compositeur, avec la tessiture des instruments de l’orchestre, le cycliste, avec le relief – en l’occurrence, deux monuments de la géologie alpine autant que de la mythologie cycliste.

Le col de l’Échelle, c’est cette verrue dans la perfection de ton tracé, la fausse note qui met à bat les efforts de l’harmonie, le caillou dans la chaussure du ministre de l’intérieur, l’épine au pied du dispositif Frontex, la rappel de trop vieux litiges frontaliers entre la France et l’Italie… Et par là-même, la très saine preuve que nous ne sommes jamais que des hommes empêtrés dans des imperfections pas trop graves… mais qui nous assurent de nous tenir très loin des absolus.

D’ailleurs, elle n’aurait pas dû exister, cette route, côté Italie ! A son pied, la borne frontière – la plus emblématique de ton voyage – date de 1947. On la dépasse bien avant le col. Cette entourloupe-là date du traité de paix d’après-guerre, quand la France a sournoisement récupéré la vallée étroite aux Italiens. On en reparlera tout à l’heure, du côté du Mont-Cenis.

Avant ça, la route faisait comme l’eau, comme les trains de Sospel, elle coulait vers l’Italie. Mais, à partir du moment où la vallée est devenue française, il a bien fallu trouver moyen de la rattacher au réseau routier national… Enfin, l’été. Parce que l’hiver, la route est fermée par la neige.

Et l’hiver, des femmes et des hommes y meurent parfois.

L’hiver, le tragique et le comique se rencontrent froidement dans ce trou de verdure où ne coule aucune rivière (nous sommes là dans une vallée endoréique coincée entre le col et le mauvais pas). Le tragique d’hommes et de femmes qui tentent le passage au péril de leur vie. Le comique de milices autoproclamées qui défendent un bout de territoire bien mal acquis.

Or, comme chacun sait, bien mal acquis ne profite jamais.

De Briançon, pour grimper à l’Échelle depuis l’Italie, il faut passer le Montgenèvre. Juste avant le col, une camionnette parée d’un panneau annonçant la visite d’un barrage rapide attire mon attention d’hydraulicien. Au lieu de l’agent EDF attendu, le type qui en descend est coiffé d’une galette et vêtu de l’uniforme du 2ème Bataillon Alpin de Forteresse.

Face à nous, un modeste édifice de béton d’allure abandonnée dont ni Manu, ni moi, ne soupçonnons la fonction. Mur de soutènement ? Point du tout. À l’intérieur – car on peut y entrer – tout un dispositif permettant de positionner des pièces d’artillerie d’une taille remarquable et de faire tomber en travers de la route une barrière métallique semblable à une porte d’écluse miniature : le fameux barrage rapide…

Des barrages de la sorte, il en existait 3 sur le territoire : le premier à Menton, face au pont Saint-Louis que j’ai traversé le tout premier jour de mon périple, sans me douter de son existence, le deuxième, ici, et le troisième, à Bourg-Saint-Maurice, du côté du Versoyen où je risque de faire escale dans les jours à venir – mais ce dernier a disparu lors de la rénovation de la route.

Ailleurs, des explosifs pour faire sauter la route, comme au col de Larche et partout des forts appartenant à la ligne Maginot… une ligne qui connut un destin plus glorieux que dans le Nord-est de la France, puisque l’artillerie qui y fut installée permit à 200 hommes environ d’arrêter (comprendre : de massacrer) près de 20 000 soldats italiens envoyés sans concertation par un Duce un peu trop sûr de lui. « c’est pour ça qu’il ne faut pas voter Mussolini » conclut notre guide, non sans ironie…

Il faudra en reparler aux milices de l’Échelle.

La descente, versant italien, est rapide, austère et froide, et laisse imaginer pourquoi le voyageur d’antan (comprendre d’avant l’invention du tunnelier et de la paroi en béton moulée) devait lui préférer la route pourtant plus alpine de Sestrière et Pinerollo pour se rendre à Turin, ce qui expliquerait par la même occasion pourquoi l’on sort de Briançon par la porte de Pignerolle.

À l’Échelle, Manu repart vers de nouvelles aventures, du côté du Granon puis du Viso, et toi, vers le Mont-Cenis.

Le Mont-Cenis sera un jeu de patience, tu le sais. 26 km pour 1500 mètres de dénivelée sur une route passante… Très passante.

À Giaglione, tu penses avoir bien avancé et tu constates n’avoir grimpé que de 250 m. Patience donc…

Plus haut, une bande de motards mal élevés te frôle. Tu sens le vent du passage du dernier sur ton bras. Il faut toujours se méfier du deuxième ou du dernier, dont l’orgueil – généralement masculin – froissé par la position qui l’occupe, l’amène à s’occuper davantage de son ou ses prédécesseurs que des autres usagers de la route à qui ils donnent, le plus souvent, des exemples de manœuvres dangereuses et aléatoires qui finissent de justifier leur position au classement général.
Giaglione, tu ne finis pas d’en sortir. C’est au moins la troisième fois que tu dépassés le panneau annonçant que tu quittes le village… mais comme tu as aussi passé trois panneaux d’entrée, il y a peut-être une logique à cela.
Et tant que tu n’es pas sorti de Giaglione, tu le sais, la France est encore loin… Que l’ascension va être longue…

La frontière tu l’atteins vers 18h00 et tu sais qu’elle est loin du combat comme à l’Échelle – tu te souviens, on a dit qu’on en reparlerait…

Mais on ne reparlera de rien car il fait froid, la nuit tombe, et sur le plateau qui s’ouvre à présent devant toi, un vent à te jeter à bas de ta monture à décidé de te renvoyer à Giaglione, sinon Suse, sinon Turin…

Tu te bas comme un acharné pour avancer sur les (rares) parties plates et dans les (rares) portions de descente. Les montées t’arrachent des insultes que le vent doit emporter jusqu’à Milan.

Peu à peu, tu dépasses le lac. Tu gagnes mètre à mètre la baraque qui marque le col. La bataille du Mont-Cenis est une guerre de position.

Tu arrives à l’hôtel à la nuit. Assis à la table du restaurant, toute la salle se met à tanguer autour de toi. Tu t’accroches à ta chaise et tu tiens bon jusqu’à l’arrivée de la corbeille de pain que tu dévore d’un trait.

Aujourd’hui, c’était trop. Tu ne parviens plus à récupérer des efforts accumulés. Demain, il faudra couper l’étape en deux. Tu ne tiendras pas sinon.

19/09/2022 - J7

La route des frontières – J7 : Lanslebourg – Bourg-saint-Maurice, Hannibal, es-tu là ?

Hier, tu étais prêt à jeter ton vélo au diable à force de te battre contre le vent du Mont-Cenis, et ce matin, tu regrettes un peu de n’avoir pas fait le crochet par l’autre, le petit frère, pour la charge symbolique qu’il représente.

Le petit frère, c’est le Petit Mont-Cenis, 2183 m. de haut, 100 de plus que le cador de la famille, le Grand, le célèbre, celui que tout le monde connaît et traverse entre vallée de Suse et vallée de la Maurienne…

Sous le soleil radieux du matin, tu te dis que tu n’as pas fait le job et que tu leur dois bien une photo de là-haut, à tes lecteurs.

Et puis, ce sera l’occasion de monter léger, en laissant ta grosses sacoche de selle à l’hôtel, 5 kg de moins, comme tu l’avais fait pour l’Échelle… de retrouver le plaisir de rouler… Tu prends ton petit déjeuner face à la verrière d’où l’échancrure du col sd devine juste là… Bref, tu en meures d’envie !

Tous les appels à la raison sont vains, toutes les justifications sont bonnes. Dans ce cas, on n’hésitera pas à convoquer l’histoire :
là-haut, c’est une autre rencontre au sommet qui t’attend. Pas Manu, non, pas un cycliste en mollets et en cuisses, mais un fantôme. Un fantôme dont l’ombre plane sur toute la mythologie alpine, un fantôme qui aurait choisi le Petit Mont-Cenis et, plus loin, le col Clapier pour franchir les Alpes.

Un fantôme éléphantesque : Hannibal.

Notez qu’en ce lieu, le général Carthaginois venait déjà chercher une frontière – l’empire Romain n’ayant pas encore conquis la Gaule Cisalpine – mais c’est bien les Alpes qui constituèrent l’obstacle le plus important.

Important, l’obstacle du petit Mont-Cenis le sera pour toi, également. Tu montes au col principal comme une fleur, à l’abri du vent. Ce dernier t’attend sur le plateau et il va te faire payer ton arrogance de la matinée et tes insultes de la veille. C’est presque aussi dur qu’hier. Ça monte, ça descend, ça souffle de face, toujours ! Enfin, tu parviens à la borne qui marque l’ancienne frontière, celle de 1861, preuve qu’à l’époque, à l’image de la vallée étroite, tout le plateau était italien.

La nouvelle borne est au col Clapier, à deux bonnes heures de marche, non loin d’un bivouac qu’on a nommé : Hannibal.

On est en droit de se demander ce qui a pu pousser l’Etat Français à grappiller ça et là des bouts de territoire perdus au risque de frustrations et de rancunes séculaires. Le jeu en valait-il la chandelle ?
À première vue, on pourrait croire la chandelle de peu de prix, mais à mieux y regarder, que ce soit ici ou dans la Roya, on trouvera souvent, derrière les nouvelles bornes (celles de 1947), une centrale hydroélectrique (exception faite de la vallée étroite où la centrale – car il y en a une – est restée italienne).

C’est on-ne peut plus le cas ici. En récupérant le plateau du Mont-Cenis, la France a aussi mangé le potentiel hydroélectrique qu’il représente. En 1970, on y a inauguré un barrage et une usine capable de nourrir 27 fois la ville de Chambéry… Enfin, tant que la neige tombera suffisamment pour remplir le réservoir en fondant car pour l’heure, la pénurie nivale de l’an passé donne au lac une allure efflanquée, l’emprisonnant dans une chaussette de contention grise ou blanche au gré des lumières.

Au retour, tu te fais la réflexion qu’il t’a fallu venir jusque-là pour voir un glacier de près. Les Alpes du Sud ne montrent que ceux des Écrins, à bonne distance.

Dans la descente, tu croises un jeune couple poussant des vélos de fortune horriblement chargés, en route vers Turin, puis vers le Sud de l’Italie, pour y passer l’hiver. Lui, le visage buriné, le visage universel du renoncement et de la confiance dans la vie, reconnaissable entre autres à sa coupe rasta-christique. Elle, de jolis yeux bleus sauvages prêts à tous les départs, pour peu que la direction soit en accord avec ses valeurs.

Il est plus de midi quand tu rentres à l’hôtel et tu y casses une graine de luxe avant d’affronter l’Iseran.

Tu rattrapes rapidement un autre voyageur à qui parler vélo. C’est le moyen le plus agréable de ralentir l’allure et de prendre le temps de la digestion avant le début des hostilités.

Le vent te pousse gentiment jusqu’à Bonneval dans un décor angélique ou les sommets scintillent enfin de glace et de neige. Ici commence la montagne qui est la tienne.

Dans ces conditions, la montée du col de l’Iseran te coûte moins d’efforts que la traversée du Grand au Petit Mont-Cenis. Quelques blocs de neige témoins de chutes récentes bordent la route.

À près de 2800 m., c’est bel et bien l’automne qui t’accueille, un automne lumineux venu figer les alpages ocres et or jusqu’au retour du grand manteau blanc. Un manteau qui, statistiquement, s’amenuise pourtant d’année en année. Il ne reste plus grand-chose du glacier de la Galise. Autrefois, avec mon grand-oncle, on chaussait les crampons sous la barre rocheuse sombre que tu crois deviner là-bas.

La descente est fraîche. Tu as fait ce matin le parole au Mont-Cenis, mais l’épuisement accumulé lors des dernières étapes te rattrape d’un coup. Au pont Saint-Charles, une dernière manip pour te protéger du froid, mais tu n’y es plus et, dans ton étourderie légendaire, tu oublies de boucler ta sacoche arrière, semant une bonne partie de tes bagages sur plusieurs kilomètres.

La nuit est à la porte. Pas le temps, ni l’énergie de remonter chercher. Tu feras le bilan des dégâts au chaud, mais cette fois, la suite est peut-être compromise…

Ce soir, tu dormiras chez toi, mais la route de la Viclaire à Hauteville ne t’aura jamais paru aussi longue.

Pause

20/09/2022 - J8

La route des frontières – J8 : Repos à Bourg-Saint-Maurice

Le bilan est clair, tu es fatigué, les étapes sont trop longues et même chaussé d’un 30-28 flambant neuf, le petit vélo rouge n’est pas un vélo de voyage.

Hier, plutôt que filer sur Aoste, tu as fait escale à mi-parcours, du côté de Bourg-Saint-Maurice. Cette pause à la maison va te permettre de faire le point et plus encore, de t’alléger un peu, même si, de ce point de vue, le hasard a décidé pour toi de ce dont tu devrais te passer.

Le plaisir n’y est plus. La fatigue accumulée te rend trop vite irritable. Tu t’énerves pour un rien. Ce voyage est devenu une mission, un devoir, l’incarnation d’un idéal esthétique auquel tu t’identifies trop. Beaucoup trop.

C’est les vacances, bordel ! Tu te projettes de retour au boulot dans un état d’épuisement proche du KO…

Stop ! Personne ne t’impose de continuer à ce rythme sinon toi- même. Rien ne te force à passer coûte que coûte. Ni l’espoir d’une vie meilleure, ni la nécessité de sauver ta peau. Ce qui t’attend, derrière le prochain col, ce n’est ni l’Amérique, ni l’Europe, tout juste la réalisation d’un pauvre rêve de jeune homme.

Par bonheur, tu n’es le récipiendaire d’aucune mission quasi divine dont toi seul aurait la responsabilité de l’ultime accomplissement. Grand bien te fasse, tu n’es pas l’Élu et ça te va plutôt bien.

C’est un rêve. Tu as pris jusqu’ici beaucoup de plaisir à le réaliser, beaucoup de temps, pour l’accomplir autant que dans les préparatifs, mais au fond, c’est un jeu. Il n’y a pas grand-chose d’existentiel là-dedans et c’est heureux.

Car certains rêves tuent. Celui d’Henri Worsley, par exemple, qui, à force de vouloir mettre ses pieds dans ceux de son héros, sir Ernest Shackleton, à force de vouloir achever l’œuvre de son mentor, finit par y laisser sa peau. Certains rêves d’Europe ne sont pas moins meurtriers et terminent leur course quelque part dans un geôle libyenne ou au fond de la Méditerranée. D’autres encore, au col de l’Échelle.

Où s’arrête le courage, où commence la déraison ? Où s’arrête la volonté, où commence l’entêtement ? Abnégation / obstination ?

La difficulté, c’est que ce genre de limites (de frontières ?) n’est pas facile à concevoir sans les avoir soi- même fréquentées et qu’elles demeureront toujours très  personnelles.

Alors ? Alors il faut y aller voir… et s’arrêter à temps ! Il faut y aller en homme ou en femme, avec courage, certes, mais en se méfiant des absolus. Croire en ses rêves, oui, sous peine d’hypoxie, mais toujours se garder de la tentation de l’absolu, de la perfection, de la pureté. D’ailleurs, les derniers à s’être trop épris de la pureté de leur race ou de leur culte ont assez mal fini, idéologiquement et moralement parlant. Il faut y aller voir, mais à pas de loup.

Tu repenses à la traversée du plateau du Mont-Cenis, à ta fatigue d’alors, au froid et a la nuit qui menaçaient sans trop t’atteindre encore.

Tu te souviens t’être dit combien les choses pouvaient basculer rapidement. Pas ici, non. Pas au milieu de cette circulation et de ces vars et restaurants, mais au col dd l’Échelle ? En plein vent ? En plein froid ? Perdu dans la neige et le brouillard ? On est peu de choses face aux éléments…

Tu repenses à tes dernières étapes et, malgré l’épuisement tu te souviens du plaisir que tu avais hier encore à l’Iseran, plus tôt, à rouler léger vers le Mont-Cenis, et avant-hier, au col de l’Échelle, avec Manu.
Il ne suffirait de pas grand-chose pour récupérer l’affaire.

Tu n’as pas dit ton dernier mot. Puisque le jour est au farniente, tu empruntes la voiture de ta tante et tu files a Val D’Isère où tu retrouves la moitié de tes affaires perdues.

Voguent encore dans la nature un sac poubelle vide (oups), un rouleau de scotch à usage de réparation de sacoches, une chemisette grise et un inénarrable maillot bleu ciel et blanc aux armes de feu Prisunic et du vélo club de Vincennes, 30 ans d’âge ou presque. Dans le lot, il y a des affaires dont tu avais prévu de justement te défaire et d’autres dont tu déniches des succédanés dans l’armoire de ta chambre. Tu es de nouveau opérationnel.

La perspective d’étapes plus courtes en distance et en dénivelée finit de te donner du baume au cœur. Tu trouves un hébergement au-dessus d’Avize, clin d’œil à l’histoire familiale puisque tu te trouves être l’héritier très indirect d’une parcelle de forêt bien française ayant appartenue aux seigneurs du lieu. Les amis qui devaient t’accueillir du côté de Taninges ce mercredi trouvent pour toi une charmante solution de secours pour vendredi…

Des amis de passage dans la région viennent te présenter leur petit d’Aurèle, qui a fêté ses 1 mois il y a 4 jours. Bref, aujourd’hui, tu t’en es remis à la route et la route t’as souris. Les étoiles sont alignées.

Demain, tu seras de nouveau en quête d’un col et, plus encore, dune frontière… en l’occurrence, le dernier passage routier qui te sépare encore de l’Italie.

21/09/2022 - J9

La route des frontières – J9 : Bourg-Saint-Maurice  – Avize, de juris en jovis

Dans l’antiquité, il existait déjà une route internationale filant « de juris en jovis », qui partait donc des hauteurs boisées du Jura pour mener au Mont Joux, la montagne de Jupiter, tel qu’on nommait le col du Grand-Saint-Bernard. Cette voie majeure empruntait plus sûrement la vallée du Rhône, mais peu importe, le titre collera bien à la route que j’emprunte aujourd’hui, depuis les hauteurs boisées de mon village de Savoie, vers le col du Grand-Saint-Bernard en passant par le Petit. C’est long. Il faudra faire étape entre les deux.

Ce bout de route tient du pèlerinage à plus d’un titre. D’une part parce que le Petit-Saint-Bernard fût ma première randonnée digne de ce nom (Je devais avoir 4 ans). D’autre part parce que notre maison de famille que je quitte à l’instant, porte sur sa façade les armoiries des chanoines de Saint-Bernard, ceux-là même qui tenaient les hospices des cols. Sur ces armoiries, on distingue nettement deux colonnes appelées les colonnes Joux et représentant les 2 cols principaux que je m’apprête à traverser. Ces armoiries, on les retrouve d’ailleurs disséminées sur ma route à Séez, Montvalezan, et au Grand-Saint-Bernard.

Cyclopédiquement parlant, la montée du Petit-Saint-Bernard est longue, régulière et peu pentue, c’est à dire roulante, monotone et plutôt fréquentée. On peut cependant lui préférer la route plus directe des villages de Montvalezan qui retrouve l’itinéraire principal juste avant la station de la Rosière par un raidillon récemment rebaptisé la montée du Tour de France ; vous comprenez pourquoi.

Je choisis cette dernière, moins pour le sport que pour m’offrir l’occasion de passer par la tour vicariale du village qui porte les armoiries, objet de notre quête du jour.

Cette route partage avec celle du col de Sampeyre l’inconvénient qu’il faut s’y arrêter tous les 100 mètres pour une photo : ici, un village perché, là, une chapelle isolée, à gauche, le glacier qui supporte les derniers élancements de la Grande Sassière, à droite la pyramide du Roignaix, coiffant d’une même envolée le massif du Beaufortain et toute la vallée de Tarentaise, en face, l’élégante silhouette du Mont Pourri où, malgré ses 3600 mètres d’altitude, la face Nord du Turia, autrefois glaciaire, fait aujourd’hui grise mine.

En 1985, Pascal Budin eut l’audacieuse idée  d’en tenter la descente tout schuss à monoski. Une première à l’époque qui restera à jamais… une dernière, car qui se risquerait à vouloir l’imiter aujourd’hui finirait à coup sûr les pieds devant – quoique l’ampleur de la chute attendue rende assez peu prédictible la position du corps à l’atterrissage…

Bref. RIP la face Nord du Turia.

Le passage du col du Petit Saint-Bernard n’est pas moins sujet à la flânerie. On y trouve pêle-mêle un Cromlech Celte, les ruines d’une halte romaine, des blocs antichars de la seconde guerre mondiale, l’hospice nouvellement réhabilité et remplissant derechef ses fonctions, un jardin alpin, un poste de douane déserté et j’en oublie sans doute…

J’en oublie, évidement ! À mon inventaire, manque une colonne Joux en guise de raton laveur. Cette fameuse colonne fût dressée à la gloire de Jupiter, manière de signifier à Graius, la divinité locale célébrée jusqu’ici par les peuples celtes autochtones, Ceutrons ou Salasses, qu’elle n’aurait dorénavant plus droit de cité. Triste fin pour une divinité.

En guise de vengeance, Graius laissa son nom à tout le massif avoisinant – celui des Alpes Grées, qui s’étend du Ruitor jusqu’au Grand Paradis – tandis que l’honorable pièce de porphyre Jupitérienne passe relativement inaperçue, coincée entre l’ancien poste des douanes italiennes, un Saint-Bernard en stuc du plus mauvais goût et un magasin de souvenirs, si bien que tout le monde l’ignore pour mieux se précipiter sur le versant italien du col, promesse de cappuccini et de liqueurs à bas prix.

À ce stade avancé de la saison, le bar est fermé et les détectables promesses resteront déçues. Tant pis, la route se trouve suffisamment déserte pour l’occuper le temps de quelques photographie de circonstance.

À la Thuile, j’opte pour l’option découverte et je me lance dans l’ascension du colle San Marco qui dévoile des vues monumentales sur la face Sud des Grandes Jorasses et toutes les arêtes de Rochefort jusqu’à la dent du Géant. Plus loin, le paysage est dominé par le Mont-Blanc de Courmayeur, qui dévoile ici son versant le plus secret et le plus exigeant où s’e devinent l’arête de Peuterey, le pilier central du Freynet, la pointe Louis-Amedée, tout en haut de l’arête du brouillard…

Plus proche de nous, les sommets du massif du Miravidi s’encadrent sagement au fond d’anciennes vallées glaciaires dessinées tout-exprès-pour-les-livres-de-géologie.

Je me félicite de cette option qui débouche à Morgex et m’épargne un bon bout de route nationale. La partie qui suit est une sinécure, mais elle est descendante et, malgré le vent dans le nez, la mauvaise plaisanterie dure assez peu. Pour preuve, nous voilà déjà au rond-point où l’on fuit l’horrible route nationale pour le délicieux village d’Avize, marqué par ses deux demeures seigneuriales.

Il est tard, la fraîcheur est tombée, et je crois devoir garder mon coupe-vent pour la montée à suivre. Cette dernière ne devrait pas être trop méchante. Dans un coin de mon champ visuel, un panneau annonçant des pentes à 20% prétend le contraire. Dans l’épingle qui suit, je m’arrête et je tombe le coupe-vent.

La montée est somme toute moins rude que prévue et aucun secteur ne me paraîtra aussi sévère qu’au col Agnel, ou à la Madonna sel colletto, surtout que les divertissements sont à la hauteur.

Dans un virage, le Mont-Blanc écrase la vallée. Au premier plan, l’Aiguille Noire de Peuterey déchire un nuage de sa dent magistrale pour mieux le dévorer. Chez les sommets aussi, ce doit être l’heure du casse-croute.

En face un serpent d’asphalte coulé dans le relief se lance a l’assaut d’un alpage invisible pour mieux y engloutir quelque bête inattentive.

Cerellaz est un village qui rigole au soleil, l’un des derniers de toute la vallée.

De là, tu files sur un incroyable balcon couronné par les sommets du mont Emilius et de la Grivola dont le glacier de la face nord est lui aussi en voie d’extinction. Tu pousses sur les pédales, t’étonnes d’avoir encore autant d’énergie, ivre du plaisir que tu goûtes à pourfendre les paysages…

Une étape comme celle-ci, c’est 90 % de plaisir pour 10% d’efforts sur une vieille rossinante mille fois rentabilisée. Il faudra vérifier, mais je parierai bien qu’à ce prix-là, c’est 10000 fois plus rentable que la coke !

22/09/2022 - J10

La route des frontières – J10 : Aoste – Martigny, d’un général à l’autre

L’hôtelier de Saint-Nicolas me confirme ce que je pensais. Pour gagner le grand Saint-Bernard, il vaut mieux continuer sur la route en balcon puis rejoindre la route nationale juste après Gignod.

On n’y gagne sans doute rien en kilomètres, ni en dénivelée, mais en plaisir et en chances de survie.

Je traverse des paysages idylliques gagnés au prix de vies d’une incroyable dureté, des vies esclaves de la terre et des éléments. Tel fût le tribut de l’agropastoralisme, grand faiseur de paysages des Alpes du Nord depuis la culture du Hallstatt, depuis l’âge de fer.

Ce n’est sans doute pas un hasard si le village de Saint-Nicolas a été choisi pour abriter le centre d’études franco-provençales, du nom de la langue qui unissait autrefois le bas-Valais, le Val d’Aoste et la Savoie et dont l’aire s’étendait à l’ouest jusqu’à Saint-Etienne. Question linguistique, sur le bord de la route, les panneaux « danger d’incendie » préviennent le risque en français dans le texte. Le risque, on devine qu’il est présent dans la pinède qui borde le bitume. Ici, c’est déjà les Alpes du Sud. Encore les Alpes du Nord. L’hésitation ne touche que le paysage, jamais la culture.

Devant moi, s’alignent comme à la parade les débouchés des grandes vallées valdôtaines des Alpes Gréés : Valgrisenche, Valsavarenche, Val di Rhême. Au fond de l’une d’elles, je crois reconnaître Ciarforon et la Becca di Monciair. En revanche, je ne parviens pas à nommer deux sommets qui me semblent pourtant frontaliers. Peut-être la pointe de Basel, peut-être la Tsanteleina. Derrière moi, c’est l’envers du Ruitor avec les Doravidi et le Château Blanc. Chaque lieu fait tomber une pluie de souvenirs d’ascensions… D’autres aventures avec Brieuc, Nga, Thierry, Laurent, Rémy, Guillaume, Camille, Olivier et le regretté Marco…

Dans le pré sous la route, deux jeunes renards se chamaillent ou se font la cour.

À l’entrée d’Excenex, un dissident de la bien-pensance en vogue affiche un drapeau russe haut devant sa maison. Quoique je ne partage pas ses opinions et que je sois peu friand de ce genre de propagande tapageuse, il faut reconnaître à l’habitant du lieu une forme de courage enviable. A moins que, conforté dans ses positions par les sondages qui donnent l’extrême droite en tête aux élections générales de ce week-end, il ne soit que le porte-opinion de la nouvelle pensée dominante en Italie.
Dans chaque hameau, les placards électoraux de couleur noire ou bleu nuit font frémir. À Montgenèvre, le guide du patrimoine l’avait pourtant expliqué si clairement : «  C’est pour ça qu’il ne faut pas voter Mussolini ! »

Est-il possible d’oublier si vite que l’Italie du Duche, c’était avant tout l’Italie de la honte, l’Italie de « Salo ou les 120 jours de Sodome ». Mais y aura-t-il seulement un nouveau Pasolini pour avertir les consciences ?

Pour donner chair à ce sinistre présage, à Gignod, comme prévu, c’est l’enfer. L’enfer d’une nationale survoltée ou l’on risque sa peau de n’être pas de la bonne communauté. Ici, de celle des véhicules motorisés. Par bonheur, la pente est plus modérée qu’au Mont-Cenis, mais la circulation s’y révèle plus intense et mieux nourrie en poids lourds.

Je m’échappe presque aussitôt vers le village d’Allein, dont la consonance germanique nous dit que les Walsers sont tout proches. D’ailleurs, c’est là que s’opère la bifurcation d’avec la Valpelline, au fond de laquelle doit se trouver un col donnant sur Breuil-Cervinia. Derrière, c’est le Theodul et Zermatt… Déjà !

C’est le moment de tourner à gauche, côté Saint-Bernard, donc, heureux virage qui donne sur le domaine d’un poète de la courge dont la rocaille, intégralement dédiée aux cucurbitacées, entoure sa demeure des couleurs apaisantes et lumineuses encore de l’automne. Ça change du bleu-nuit !

Puis vient Étroubles où l’on retrouve l’enfer de la nationale pour moins de trois kilomètres. Au-delà, le gros du flot prend la direction du tunnel, à l’abri d’un paravalanche géant qui le préserve de paysages pourtant grandioses, tandis que nous nous partageons le secret des hauteurs à quelques-uns : flâneurs, touristes et pèlerins…

Saint-Rhémy-en-bosses figure le lieu parfait pour accueillir une pause méritée qui met cependant fin à la motricité de tes jambes. Comme au Mont-Cenis, te voilà collé à l’asphalte, sans énergie et, comme au Mont-Cenis, tu te mets à compter les kilomètres, puis les centaines de mètres, avec cette même abnégation têtue, les motos qui rasent gratis en moins.

l’Italie n’est décidément pas le pays du cyclotourisme. En France, la métropole de Nice protège ses cyclistes par des panneaux, les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes et la Savoie tentent, autant que faire se peut, de matérialiser des bandes cyclables dans les ascensions des grands cols (à la Bonette, à l’Izoard ou au Mont-Cenis) – solution ma foi moins tapageuse et plus efficace que celle du 06. En Italie, rien. Ni bande cyclable, ni panneau incitatif, ni indications kilométriques…

Contraint à faire avec les moyens du bord, tu t’en remets à la végétation pour l’altitude, et aux détails du terrain pour la distance. D’ici, la vision d’un vieux bâtiment qui pourrait être l’hospice te donne du courage et l’illusion que la fin est proche… Quoiqu’à force de lorgner dans cette direction, tu découvres un mur de soutènement beaucoup plus haut dans le paysage. L’accès d’une bergerie ? Tu doutes…

Pour accéder au prétendu hospice, la route serpente en équilibre sur des murs de granite de toutes les couleurs du monde : ocre, rouge, blanc, or, où s’invite quelque fois une serpentine pour la touche de vert. À considérer tous ces blocs, tu te demandes si l’ingénieur en chef de la route du col de la Valcavera s’y serait pris de la même façon. Peut-être pas… Mais à tout prendre, à la Valcavera, la route est tracée deux fois moins large, ce qui conduit nécessairement à l’économie d’au-moins la moitié des cailloux.

Il faut surtout reconnaître que ce n’est pas tous les jours qu’on pédale sur des ouvrages de cette qualité et qu’il serait dommage de se plaindre de fréquenter de si près ces petits chefs d’œuvre de génie civil à l’ancienne.

Dans l’épingle suivante, tu ne résistes pas à la tentation d’un dernier café en Italie, et moins encore à l’acquisition d’un bout de Fontina d’alpage à l’usage de tes prochains pique-niques. Tu ne t’émeus pas des silhouettes d’éléphants jaunes et violettes qui s’égrènent autour du petit café. Ici aussi, on revendique le passage d’Hannibal. Peu disposé à lancer la polémique, tu prends garde de ne poser aucune question et retournes t’asseoir en terrasse d’où un éclair de soleil sur une carrosserie haut-perchée, tout là-haut, met fin à tes dernières illusions. Le dernier mur de soutènement, il va falloir y grimper.

Au kilomètre 30, tu dépasses enfin le faux-hospice, un petit coup de vent dans le nez. Mais depuis le Petit-Saint-Bernard, vous vous êtes réconciliés lui et toi. Fini les insultes, et fini les bourrasques.

Au kilomètre 31, ça tire sur les ischyos… À tout prendre, ça change des quadris carbonisés par les efforts anaérobies, le plus souvent après avoir bu trop vite, en apnée, ou à la reprise, après une pause pour un motif aussi varié qu’inutile : photo, énième vérification des sacoches (fermeture, absence de frottement sur les roues) ou que ton application de suivi sportif est bien en marche, petit esclavage aux lois de la communication moderne. Ça tire, donc, mais tu sais que ces grosses routes empâtées ne sont pas du genre à te faire le coup tordu de la vieille rampe à 15% cachée derrière la prochaine épingle. On n’est pas à Sampeyre ici, et moins encore à la Madonna del colletto.

En matière de chef d’œuvre à l’ancienne, dans un paravalanche aux belles ouvertures voûtées, tu découvres que le granite n’est qu’un parement venu dissimuler une structure de béton armé. Ça t’apprendra à vouloir jouer les experts d’une discipline qui n’est pas la tienne. Quoiqu’il en soit, dans le virage suivant, c’est fini. Dans ce sens, le Grand-Saint-Bernard se révèle presque aussi farceur que l’Iseran : un dernier bombement puis un virage qui s’ouvre sur un lac, un monument à Saint-Bernard, et les presque nécessaires boutiques de souvenirs. L’hospice siège trente mètres plus haut. C’est le dernier col frontière avec l’Italie de ton périple. La suite va se jouer entre la Suisse et la France.

J’hésite à franchir l’obstacle en wheeling, dans l’espoir qu’un nouveau David vienne immortaliser mon impériale posture – et tant pis si je roule en sens contraire de l’histoire, tant pis si Bonaparte, lui, chevauchait vers l’Italie !

Ne voyez pas, dans cette image, les conséquences d’une hypoxie funeste, plutôt les fruits d’une imagination cultivée, en l’occurrence, celle d’Aurélie, une amie qui me la livra dans une correspondance délectable au moment de mon premier départ, et à laquelle je devais ici rendre hommage ! Un hommage de mots et de papiers. Devant le constat de me faibles compétences en matière de rodéo urbain, je préfère m’abstenir de cette cabriole vélocipédique au profit d’une conversation non moins savoureuse avec le chanoine Raphaël.

Ce dernier m’offre un thé d’hospice et me confie que, par chance, la source qui alimente la communauté n’a que très peu baissé malgré la sécheresse. Cette source, on en ignore l’origine exacte et comme les chanoines ont renoncé à faire mener des études plus poussées, il reste qu’à ce jour, les voies de l’eau demeurent aussi impénétrables que celles du Seigneur.

Raphaël m’apprend qu’il ne faut pas chercher d’autre colonne ici que le socle de la statue de Saint-Bernard, aperçue en contrebas, sur les rives du lac. La colonne Joux, c’est le Mont-Joux lui-même, terme qui désigne le col où nous nous trouvons. Outre les deux pierres armoriées qui figurent en façade, il me permet d’en découvrir deux nouvelles représentations. Il m’indique encore que la nomination du prieur de la communauté des Bernardins était un privilège du Duc de Savoie et plus tard du roi de Piémont-Sardaigne. C’est d’ailleurs en représailles d’une rébellion des religieux Valaisans contre l’une de ces désignations que le souverain transalpin décida la sécularisation de tous les biens de la communauté sur ses terres (Savoie et val d’Aoste). Si l’hospice du Grand-Saint-Bernard échappa au courroux du prince, celui du Petit-Saint-Bernard, le prieuré de Saint-Pierre, en val d’Aoste, et très probablement la maison familiale, revinrent alors (c’était en 1752) dans le domaine des Etats de Savoie.

Au détour de cette phrase, des pans de souvenirs d’enfance accrochés à cette maison de vacances, et avec eux, une part de ma toute petite histoire personnelle se trouvent mêlés aux tourbillons de la grande, à l’Histoire de cette frontière, si lourde de conséquence en ce jour de 1752, mur infranchissable de droit et de béton, cette frontière désormais presqu’aussi fuligineuse qu’elle devait l’être durant l’antiquité, quand les voies romaines la traversait de part en part. Des voies sans nom précis, pas la Julia Augusta, qui fréquentait Vintimille et Arles en passant par Menton, moins encore la Domitia, qui empruntait le col du Montgenèvre… Toutes ces via arrières-arrières-arrières grands-mères des routes empruntées jusqu’ici pour ce périple… C’est vertigineux. Presque autant que de regarder les 50 lacets du col de Tende depuis l’approche du sommet…

Aujourd’hui, tu confirmes que la frontière se traverse en un coup de pédale, sous une coursive du monastère. Avec elle, c’est le dernier des grands cols que tu viens de franchir, le dernier des plus de 2000… Juste derrière, la descente est rapide. Tu doubles une Jaguar, regrettes que ce ne soit pas une Ferrari pour filer la métaphore du cheval cabré, et tu plonges…. D’abord dans une épingle, puis dans un tunnel, puis un paravalanche, puis un nouveau tunnel, puis c’est Bourg-Saint-Pierre. Sitôt entré, sitôt sorti. Nouveau tunnel et c’est Liddes, déjà. À la montée, cette route sans alternative doit figurer le purgatoire du cycliste. Chanoines de Saint-Bernard, priez pour eux.

Quand le paysage s’ouvre enfin, c’est sur une vallée grignotée par le mitage de riches demeures individuelles sans beaucoup de charme en comparaison des maisons du Val d’Aoste, serrées les unes contre les autres pour mieux se tenir chaud sous la menace du grand hiver.

Il est tard, mais tu crois en tes forces et le plaisir retrouvé d’appuyer sur les pédales t’invite à quitter la route principale pour le col de Champex que tu remontes au train. Enfin… au train que permet un petit vélo rouge chargé, des cuisses appesanties par les kilomètres et le dénivelée de la journée, et une température corporelle en hausse sous le léger coupe-vent que tu n’as pas pris le temps de tomber. L’épingle suivante te trouve donc à l’arrêt, occupé à te dévêtir d’une ou deux couches. Tu achèves l’ascension sur le même rythme soutenu et, poussé par la crainte de finir à la nuit, tu t’engages aussitôt dans la très belle descente du Crêtet, tracée pour le pilote de formule 1 que tu n’as jamais rêvé d’être, mais pour qui tu finis par te prendre.

La ville de Martigny semble vivre exclusivement de la fondation Gianadda. La décoration de l’hôtel où tu crèches provient toute entière des expositions passées. Idem pour celle du restaurant où tu engloutis un risotto aux chanterelles dont la valeur gastronomique s’accorde assez bien à prévision de l’effort du lendemain. On pourra se poser davantage de questions sur le verre de Primitivo de Salento qui accompagnait le tout. Pas sur sa valeur gustative, loin s’en faut.

Sur son effet musculaire ? Nous verrons bien demain…

23/09/2022 - J11

La route des frontières – J11 : Martigny – Verchaix : au pays du Mont-Blanc

Au moment de quitter le petit hôtel, tu demandes à faire remplir tes bidons. Tu les récupères dans un échange de politesses convenues :
« Merci beaucoup
– Service ! »

« Service », c’est le mot, ici, en Suisse, pour dire « de rien ». Un mot des plus mal indiqués pour un bidon à moitié rempli d’eau tiédasse. Dommage, la réceptionniste de la veille était plus serviable.

Depuis la descente du col d’Arpy, tu sais que tes freins sont en sursis. Par bonheur, le freinage ne t’a pas beaucoup servi dans la descente du Grand-Saint-Bernard, nettement plus dans celle de Champex. Ça risque de n’être pas le cas pour les jours à venir, plus encore si la pluie s’en mêle. Tu quittes donc l’hôtel pour le vaste atelier de vélo qui lui fait face où tu déniches une paire de patins. Une et pas deux, c’est mieux que rien ! Le vélociste t’offre gentiment de t’installer au chaud et de te prêter ses outils pour la réparation. Quinze minutes plus tard, tu es prêt à affronter l’étape du jour.

Cette étape, c’est la plus redoutée d’entre toutes en termes de circulation automobile. Aucun secteur favorable ne s’y dessine : ni la remontée du col de la Forclaz, ni la traversée de la vallée de Chamonix, moins encore la bavante que figure la trop longue transition entre Passy et Cluses. Quant à la remontée sur le col de Châtillon, tu ne te fais aucune illusion. Bref, ne serait la stupide règle qui dicte le trajet de la route des frontière, jamais tu ne serais passé par là.

Ç’eut été une erreur de renoncer pour si peu. Tu as fait le choix de partir tard pour éviter le rush du matin. Bonne pioche ! La montée de la Forclaz s’avère déserte. Qui plus est, tu évites tout le secteur aval par l’ancienne route, celle de villages aux noms charmants – Plan-Cerisier, Fontaine, Le Fays – offrant des vues somptueuse sur la vallée du Rhône. Plus haut, une équipe de géomètres occupés à des travaux de mensurations te facilitent le passage. Tu récidives sur la route buissonnière de la Chappe. Sur l’autre versant, des troupeaux d’Hérens brillent, noires, au soleil.

Passée la Forclaz, c’est l’automne des sommets fauves, parfois plus sombres, tout juste saupoudrés de blanc. Nouvelle frontière.

À Vallorcine, l’office du tourisme se proclame le point de départ du grand sentier Walser. Le panneau à destination des touristes mélange plusieurs thèmes et vante également la technique locale de la teppe pour éviter que la terre de qualité ne se retrouve au bas des champs, sans que tu comprennes vraiment de quoi il s’agit. Chez toi, un teppe, c’est une terre pauvre exposée au soleil. Somme toute, du côté de la Tarentaise, les paysans avaient des préoccupations similaires. Chaque Printemps, ils remontaient la terre végétale du bas du champ pour la ré-étaler sur toute la surface exploitable. Un travail de Titan. Un de plus. Un de ces innombrables travaux d’Hercule à l’origine des paysages que tu traverses.

Quand à l’architecture Walser, tu peines à la dénicher parmi les chalets stéréotypés des promoteurs qui, tous, répondent à la même norme esthétique néo-montagnarde imaginée par les aménageurs touristiques. Plutôt que limiter ce fameux sentier Walser entre Vallorcine et le TheodulPass, il faut le poursuivre au-delà et ne surtout pas se priver de visiter Soussun, dans le val d’Ayas, au dessus de Saint-Jacques des Allemands (en Italien dans le texte, un nom qui en dit long), Alpenzu, dans le val di Gressoney, ou encore Piane dans la Valdobbia.

Plus haut, le ciel laiteux peine à s’éclaircir mais c’est pour mieux te réserver ses éclairages argentés sur l’Aiguille Verte et le glacier des Bossons, tandis que les aiguilles de Chamonix demeurent dans l’ombre pour imprimer ce qu’il faut de sévérité au paysage. Tu t’arrêtes tous les 100 mètres pour une photo. Tu traînes. Tu vas encore finir à la nuit…

Si Chamonix représente le paradis pour la pratique d’une multitude de sports de plein air, ce n’est certainement pas celui du vélo de route quoiqu’on puisse désormais goûter le confort d’une voie verte pour fuir l’agglomération. Néanmoins, la seule échappatoire au piège mortel de la N205 demeure mal fléchée. Venant de Suisse, où l’on trouve partout des balises indiquant le tour du Mont-Blanc, on aurait pu s’attendre à une continuité transfrontalière du panneautage qui, de fait, n’existe pas. C’est dommage car, certes, le détour de Vaudagne exige quelques cent mètres de dénivelée, mais la descente pardonne tout. À nouveau, tu t’abandonnes au plaisir indicible de glisser dans des splines anti-baudelairiennes. À nouveau, tu parierais que c’est plus rentable que la coke… Pour le meilleur ? Seulement pour le meilleur !

Du côté de Passy, Floriane te reçois avec un thé sur le parking de l’entreprise où elle travaille. Nous échangeons des nouvelles et des projets. Elle et Grégoire reviennent d’une traversée des Alpes de 8 mois qui me fait pâlir d’envie. Mais c’est davantage avec le sourire que je repars de cette courte escale. Tu t’échappes un peu trop vite, non sans avoir acheté les deux patins de freins qui te manquaient et remplacé la cape de pluie égarée du côté de l’Iseran : les énormes soucoupes des nuages lenticulaires aperçues ce matin annoncent une météo pluvieuse pour demain…

La suite, c’est la promesse monotone de routes surpeuplées jusqu’à Cluses. L’application cartographique de ton téléphone, la même que celle qui t’a fait rater la route de Vaudagne, t’envoie visiter une sablière où tu te retrouves esseulé parmi d’énormes engins de chantier avec la certitude de n’être pas à ta place et de faire chier tout le monde. Retour donc à l’énorme départementale où tu t’engages vaille que vaille. Tu t’échappes au jugé par une enfilade de routes secondaires plus agréables jusqu’au point fatidique où toute les routes mènent à l’horrible nationale de Cluses. Triste fin en perspective. À tout hasard, tu t’enquières d’une alternative auprès d’un passant.

« Si on peut éviter la nationale ? Mais bien sûr ! C’est tout aménagé en piste cyclable ! Passé Oex, le prochain village, vous verrez une ancienne marbrerie. Là, vous tournez à gauche, sous un pont, puis un deuxième… Ensuite, c’est fléché jusqu’à Cluses. »

Tu bénis le type autant que le récent aménagement de la véloroute Léman – Mont-Blanc qui te conduit directement au pied du col de Châtillon. Retrouvailles avec la D902, la route des Grandes Alpes que tu n’auras croisé ici que trois fois, à l’Izoard, à l’Iseran et ce soir, avec moins de plaisir. Car pédaler dans la montée du col de Chatillon aux alentours de 18h30 se révèle digne d’une partie de roulette russe avec plus d’une balle dans le chargeur. La montée par chez Martelet permet de couper la dernière épingle autant que de donner l’exacte mesure de ce qu’il te reste de cuisses. Peu importe ! Les deux gredines ont flairé l’écurie et elles te mènent à Verchaix, où Christine et Didier te réservent un accueil charmant propre à effacer d’un trait toutes les fatigues du jour. À moins que tu ne payes demain le dernier verre d’Armagnac… Un Armagnac à tomber. Pourvu que l’expression ne vaille qu’au figuré…

24/09/2022 - J12

La route des frontières – J12 : Verchaix – Thonon : Le dernier jour

La prévision météo s’obstine dans ses annonces de pluie. Tu te lèves tôt dans l’espoir de rouler une heure au sec, mais le bruit des gouttes sur le vélux a raison de tes velléités matinales. Un énième solide petit déjeuner, un dernier changement de patins et tu charges ta bicyclette avec un soin et une lenteur inhabituelle.
Tu roules quelques kilomètres sous une bruine légère qui transforme ta moue déconfite en un sourire complice. Finalement, on n’est pas plus mal au frais, et tu pars à l’assaut du col de l’Encrenaz inaugurer la cape achetée hier à Passy. Tu choisis la route de Rond, la meilleure pour cuver l’armagnac de la veille quand, sur l’autre versant de la vallée, la D902 remonte bruyamment vers les Gets.

Tu as préféré l’Encrenaz au célèbre col de Joux-Plane pour un florilège de raisons plus ou moins avouables. Petit un : parce qu’au col de Joux-Plane, la route n’y passe pas ! Elle l’approche, certes, et tu devines que l’on a dû planter sur l’épaule toute proche, au point le plus haut du goudron, un panneau de complaisance pour sauver l’honneur de quelques cyclistes, mais orographiquement parlant, il n’y a pas col. Petit deux : par fainéantise, évidemment ! Parce que l’Encrenaz est moins élevé que le précédent. Petit trois : par sécurité, bien entendu ! Puisque la descente de ce dernier n’en sera que moins longue et moins raide donc mathématiquement plus sûre sous la pluie. Petit quatre : pour le tourisme et les souvenirs, pour revoir un coin de montagne d’où tu crois te souvenir être parti vers la pointe de Chalune, avec Brieuc, toujours lui… Arrivé à Bonnavaz, tu reconnais tout ! Le groupe de trois chalets, le point où la route est coupée en hiver, la pente où vous aviez dû filer vers la gauche, que les nuages grignotent, à présent…

La suite prolonge ta découverte d’alors, même si, sous ce ciel bas, la découverte ne se dessine qu’à tâtons. Tu discernes facilement la dépression qui doit porter le col… à moins qu’il ne se cache plus à gauche, au sommet de cette combe… Ici, la végétation ne te sera d’aucune aide, elle ne te servira pas d’altimètre. Ce col, la hêtraie-pessière doit lui monter jusqu’au cou !

La présence d’une habitation confirme ta première intuition. La route s’engage pourtant à l’opposé, se cabre, hésite, puis renonce dans une épingle devant un alpage vertigineux. Quelques mètres plus loin, tu dépasses la maison, mais l’Encrenaz est joueur et t’entraîne dans une partie de cache-col dont l’Iseran et le Grand-Saint-Bernard n’ont pas le privilège. Tu finis par le trouver au fond d’un vallon latéral au bout d’un long faux plat sans difficulté qui s’achève sur deux rampes farceuses.

Tu ne regrettes pas ton choix. C’est un joli col habité de troupeaux, vaches ou chevaux, et d’une remontée perdue, comme égarée parmi les bêtes, sans deviner qu’elle communique avec tout le domaine des Gets.

Une vague lueur trahit que le bar est en vie. Tu meures d’envie d’un café, autant pour te réchauffer l’œsophage que pour manifester un brin de sympathie envers les habitants des arrière-saisons désertées, pour celles et ceux qui sont restés. Toutefois, devant le grand rafraîchissement promis dans la descente, tu juges plus indiqué d’ingurgiter ta boisson chaude au bas de la pente. Non sans raison.

Le taux d’humidité qui règne sur l’autre versant explique à lui seul pourquoi la totalité des bleds du secteur sont jumelés avec des villes du Finistère. Les gouttes s’abattent violemment sur ton visage, te blessent les lèvres déjà fendues par deux gros boutons de fièvre, résultat cumulé de la fatigue et du soleil des derniers jours. Sur le bord de la route, de gros chalets laissent échapper des bouffées de fumée odorante comme autant d’appels à t’y réfugier. L’autre appel, c’est celui des panneaux « Thonon » que la D902, retrouvée à la sortie d’Essert-Romand, te balance à la gueule à répétition. Thonon 27 par-ci, Thonon 26 par-là. Si tu répondais favorablement au chant de ces sirènes à pied métallique, une heure te suffirait pour échapper à cet enfer mouillé. La route des Grandes Alpes ne te laisse pas le temps d’hésiter. La prochaine sirène indique la direction de Biot et, plus loin, celle du col du Corbier. Derrière, c’est la vallée d’Abondance qui prend naissance un peu plus haut, sous le Pas de Morgins, unique col frontalier des Alpes à réunir par l’asphalte, à l’ouest, la République Française, à l’est, la Confédération Helvétique…

Ce col, ce sera le tout dernier col frontière de ton périple… Ce serait dommage de vous manquer…

Floriane t’avait prévenu, le Corbier fait mal aux cuisses et tu ne sais toujours pas dire pourquoi. Il n’est pas long (6 kilomètres), les pourcentages n’y sont jamais extrêmes (9% maximum), mais tu y retrouves la sensation désagréable d’être cloué sur le tarmac. Est-ce la rugosité du revêtement qui annihile tes efforts et te colle à la route ? Est-ce la fatigue ? – Déjà ? Il te reste encore près de cent kilomètres à parcourir !

Changement de bitume, changement de rythme. Tu relègues la fatigue au rang des mauvaises conseillères et tu pleures la solitude de la station de Drouzin – Le Mont, mieux vidée de ses âmes que le cocon d’Encrenaz, vivotant, certes, mais où un bar donnait encore de la lumière aux hommes.

Avec le retour d’une bruine adoucie, tu prends le parti de l’accalmie et tu te rues dans la descente pour t’éviter un nouveau hachage haute pression du visage. Tant pis pour la pause et les calories qui vont avec. Bonne pioche ! La vallée d’Abondance est plus accueillante, au point que tu renvoies ta cape de pluie flambant neuve à sa sacoche dès les abords de La Chapelle. Au-delà, les vitraux de l’église de Châtel promettent avec beaucoup d’optimisme que la charité ne connaît pas de frontière et l’ascension du pas de Morgins se laisse avaler sans résistance. Une borne de 1737 t’y accueille, parmi d’autres, dont l’une te paraît plus ancienne encore. Elle est gravée aux armes du roi de Piémont Sardaigne côté face, à celles du Valais côté pile.

La pluie a cessé mais l’émotion te dictes de prolonger l’instant au risque d’une prochaine averse. La Fontina d’alpage survit avec peine à ce dernier casse-croute. Il est déjà presque 16 heures. Tes chances d’attraper un train pour Lyon s’amenuisent de minute en minute. Trois gouttes te jettent à nouveau sur la route. Prochain objectif, le lac Léman.

Ce dernier se dérobe longtemps. Tu ne le rencontres vraiment qu’une fois traversé Port-Valais, après une alternance d’itinéraires cyclables agréablement balisés et de routes-à-étaler-les-cyclistes-façon-crêpes. Quitte à mourir, tu aimerais tout de même voir Thonon avant. Et pourquoi pas Vesoul ou Venise… 

Le lac ! Cette fois, l’aventure est derrière toi. Il ne te reste qu’à donner les derniers coups de pédales pour rallier Saint-Gingolph, où tu franchis la Morge et, avec elle, la dernière frontière de ton voyage, la toute dernière limite alpine traversée par une route cyclable. Tu y traînes le temps de quelques photos puis te jettes en selle pour les derniers kilomètres, direction Thonon !

L’aventure, pourtant, ne s’arrête pas où l’on croit. C’est elle la souveraine qui préside aux choix du voyage, elle qui décide du temps, des horloges et des aléas. Un choc au mollet suivi d’un bruit d’objet brisé que tu n’identifies pas. Tu vérifies sans descendre de vélo que tes sacoches et bidons sont toujours en place, que tes poches sont toujours pleines – l’une contient les deux dernières barres de céréales qui te restent et l’autre un sachet Ziploc qui te tient lieu de portefeuille. Faute d’indice alarmant, tu poursuis ta fuite vers la ligne d’arrivée que tu t’es fixé.

Quelques kilomètres plus loin, à la faveur d’une nouvelle éclaircie, tu te défais une dernière fois de ta nouvelle cape de pluie. C’est l’occasion de constater les dégâts de la collision avec l’ovni de tout à l’heure. Dégâts, le mot est fort. En revanche, ta jambe dégouline d’œuf. Un automobiliste peu renseigné des dates de carnaval de ce côté de la frontière aura cru qu’on fêtait mardi gras. Comme quoi, aussi opaques ou transparentes soient elles, les frontières révèlent toujours des surprises et des incompréhensions. Tu laves ton désarroi et ton mollet avec le peu d’eau du fond de tes bidons. Te voilà privé de boisson pour les 20 derniers kilomètres. Un dernier bout de défi encore à ta portée !

Tu traverses Evian avec une pensée pour Ghislaine. Tu te revois prendre cette inénarrable photo d’elle posant avec son tandem devant le Casino de la ville. Tu hésites à refaire l’image, lorgnes l’angle qui convienne et découvres déçu que le palace est en travaux et qu’avec ses oriflammes de rubalise, le site a perdu tout caractère photogénique. Tu lâches donc les freins et files attraper un train de plus en plus illusoire. Une dernière photo devant le lac, une devant le panneau Thonon. Ça y est ! La ligne est franchie. Tu as retrouvé la gare d’où tu étais parti sur la route des Grandes Alpes, il y a un peu plus d’un an. Ce n’est rien qu’un symbole – tu aurais tout aussi bien pu prendre le train d’Evian, et pour le coup, tu serais rentré chez toi le soir même – mais c’est un symbole auquel tu tenais. 

Un Symbole ? Ou la quête d’un de ces absolus fantasques qui parfois vous perdent, à défaut de vous tuer ? Cette question-là, c’est sûr, ne méritera pas moins qu’un prochain voyage pour la méditer…

Epilogue

Dimanche 25 septembre 2022, Gare de Bellegarde. En attente d’une correspondance pour Lyon.

Depuis le quai, j’aperçois un jeune couple sur le départ. Il pleuviote, elle est occupée à fermer une remorque dont je ne distingue pas le chargement (bagages ou enfants ?) et je me dis qu’ils ont de la chance…

Le voyage à peine terminé, l’envie de repartir est immense, malgré la fatigue et le poids des cuisses devenues trop lourdes, à peine capables de gravir encore un escalier.
Mais que sont là ces toute petites fatigues et ces lassitudes minuscules devant l’appel de paysages plus éphémères qu’on ne le devine et devant l’urgence d’être le témoin de ce monde en mouvement.

Mouvements parfois transfrontaliers, ça va de soi… Pour le meilleur et pour le pire.
 
De retour à Lyon, tu roules sous un ciel grisonnant qui te dévoile à demi-mot la frontière que tu n’as pas vu passer. Parti au chevet d’un été trop sec, tu reviens à l’automne, les yeux remplis de ses lumières mouillées. De combien la Terre aura-t-elle tourné pour couvrir tant de distance ?

Les traces de ces changements, tu les cherches dans la ville sans être capable de les trouver. Pauvre con ! Tu n’es parti que quinze jours ! Ton voyage n’a pas duré un mois, ni un an… S’il ne fallait donner qu’un chiffre pour qualifier ton périple, ce serait d’ailleurs celui-là, ni celui des kilomètres, ni celui des cols, ni celui du dénivelée, ni même celui des frontières traversées, mais ce rapport étrange qui, pour deux semaines de voyage vient de t’offrir un an de souvenirs.

La vitesse rend paraît-il les frontières du temps malléables. C’est ce que nous dit, je crois, la théorie de la relativité. Je le vérifie en m’extirpant du tunnel de la Croix-Rousse, même si, loin s’en faut, juché sur mon petit vélo rouge, je n’aurais jamais circulé à une vitesse proche de celle de la lumière sur les hauts cols des Alpes. Même en descente.

Alors, deux semaines, un mois, un an ?

Il se pourrait que les chronomètres eux-mêmes ne sachent pas ce qu’ils mesurent, comme il se pourrait que personne n’ait vu de ses yeux ces lignes qui, dit-on, parcourent les montagnes et séparent les peuples, arrêtant quelque fois les pas d’un homme, du côté de l’Échelle ou de la Roya, quelque fois, se laissant traverser par lui, comme offertes…

Alors ?

Alors, il n’est aucune certitude à tirer de ce périple, sinon que la beauté des Alpes, de ses paysages et de ses habitants, ne connaît pas de frontières…

Le bilan en chiffres

La route des frontières 2022 c’est :

14 jours de périple dont
o   10 jours de vélo
o   2 jours de repos
o   2 jours de voyages en train (aller à Menton et retour de Thonon)
·        Un peu plus de 1200 km parcourus
·        28 000 mètres de dénivelée dévorés (parfois au bord de l’indigestion)
·        31 cols dont :
o   28 cols différents
o   Le col de l’Echelle et celui du Mont-Cenis gravis deux fois par chacun de leur versant
o   Le col du Petit Mont-Cenis en aller-retour

Liste des cols

·        Castillon
·        Vescavo
·        Tende
·        Madonna del Colletto
·        Lombarde
·        Col et Cime de la Bonnette (et col de Raspaillon)
·        Larche (ou Madalenna)
·        Valcavera
·        Fauniera
·        Esischie
·        Sampeyre
·        Agnel
·        Izoard
·        MontGenèvre
·        Echelle (versant Italien)
·        Echelle (versant Français)
·        Mont-Cenis (verant Italien)
·        Mont-Cenis (versant Français)
·        Petit-Mont-Cenis
·        Madeleine (celui de Haute-Maurienne, pas le plus connu)
·        Iseran
·        Petit-Saint-Bernard
·        San Marco (Ou d’Arpy)
·        Grand Saint-Bernard
·        Champex
·        Forclaz
·        Montets
·        Châtillon
·        Encrenaz
·        Corbier
·        Pas de Morgins

Partagez cet article
2

Laisser un commentaire

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de confidentialité, ainsi que les Conditions de service Google s’appliquent.